Un enfant malade est toujours une tragédie mais lorsqu’un soupçon apparaît dès la naissance, les parents ont énormément de mal à l’encaisser et prie probablement tous les dieux à leurs connaissances. Keridwen est né un jour de printemps, une radiographie des poumons et un soupçon apparaît alors. Quelque chose qui semble se dessiner sur l’affreuse photographie en noir et blanc.

Bien évidemment, elle n’y échappa pas, le test de la sueur enroulait dans des draps pour savoir si elle l’avait, cette condamnation morbide : la mucoviscidose. Keri’ n’y échappa pas. Elle était bel et bien malade et d’aussi loin que la petite rouquine s’en rappelle, respirer était difficile. Sa vie n’était pas affreuse, loin de là, elle avait de la chance d’être née dans une famille assez aisée. Keri’ n’étant pas une enfant difficile, elle écoutait ses parents concernant sa santé. Même si cela pouvait la priver de nombreuses expériences de la vie.

Elle a connu très rapidement le sentiment d’être à bout de souffle, de ne plus pouvoir ne serait-ce que se relever, ou simplement les secours qui venaient la chercher. L’hôpital était rapidement devenu comme une seconde demeure pour elle. La petite fille pouvait passer des mois entiers dans sa chambre blanche, à jouer sur son petit lit, et brancher à de l’oxygène. Attendant ses médicaments pour survivre. Sa vie était entre-coupée de moments de la blancheur des hôpitaux, d’écoles, et de sa solitude.

Si la demoiselle devait raconter sa vie elle-même, elle dirait qu’elle avait essentiellement passé sa vie à lire, étudier, dessiner pour s’occuper, et finir par s’isoler naturellement de ses enfants qui couraient partout. Les années passèrent, toutes identiques, Keri’ n’ayant que pour passion d’apprendre toujours plus et l’électronique et la mécanique. Elle adorait bricoler, rafistoler les trucs qu’elle trouvait. C’était son pneumologue qui lui fournissait toujours les petits jouets ou objets qu’elle pouvait démonter et lui lancer des défis. Et finalement, c’est probablement l’une des personnes en qui la rouquine eut le plus vite de respect. Il la maintenait en vie mais en plus de cela, il alimentait son intérêt intellectuel. C’était peut-être cela qui l’aidait à espérer une vraie vie, qu’un grand ponte de la médecine ait su lui dire un jour que son corps n’était pas une prison pour son esprit.

Keri’ n’avait pas sept qu’elle se décida à devenir une électromécanicienne et commença à en parler de plus en plus à ses parents. Elle avait besoin de vrais outils et de livres. Forçant sa mère à lui acheter le nécessaire, ce fut certainement le plus beau jour de sa vie quand elle arriva dans cette boutique spécialisée. Les yeux ouverts tels des grandes soucoupes, elle regardait partout, cherchant un livre en particulier. Mais elle croisa quelque chose de bien plus particulier, un garçon un peu plus âgé qu’elle.

Keridwen n’avait pas d’amis, pas qu’elle s’en souvienne, et lorsqu’elle le vit, elle s’approcha curieuse de tout, il aimait lui aussi cet univers ? Alors, elle fit quelque chose qui ne collait pas à la petite fille solitaire qu’elle était, elle se mit à lui parler. Pendant un petit moment, lui demandant si il voulait jouer avec elle le temps que sa mère achète le nécessaire pour l’atelier de la petite.

Quelque chose très enfantin, elle avait simplement tendu le petit ballon qu’elle gardait pour occuper ses mains. Rien de très original, mais juste ce petit courage si propre aux enfants allait changer la vie à jamais de Keri’. Jouer aux ballons avec un petit garçon. Peut-être qu’elle voulait seulement elle-aussi profiter de la vie. Simplement rire à en avoir mal aux côtes. S’échappant de la surveillance de sa mère, elle se mit à jouer avec lui, courir après le ballon, elle petite brindille dont le vent se moquait en charriant son corps.

Petite brindille aux poumons décharnés, la course l’épuisa bien vite, et l’inévitable arriva. Elle ne pouvait plus respirer. Elle était à bout de souffle. Elle tenta de lever les bras pour essayer de mieux respirer mais elle tomba à terre, la respiration sifflante. Elle connaissait cette sensation par cœur, le déchirement, la douleur qui la tuait petit à petit. Elle tirait sur son haut comme pour implorer le ciel de la faire respirer. Et ce qui arriva, arriva sa mère sortit paniquée et la fit aussitôt rapatrier à l’hôpital. Placée sous oxygène.

Retour à la case départ, Keridwen jouait avec un petit robot qu’elle avait construit avec l’aide de son pneumologue, fixant la fenêtre, le masque sur le visage. Elle savait qu’elle allait y passer ne serait-ce que la semaine, mais ce qu’elle ne savait pas c’est que le petit garçon de la veille allait venir. Il l’avait retrouvée, couchée depuis un moment, elle se redressa surprise. Ses parents travaillaient, elle était seule, mais quand elle le vit, elle eut un énorme sourire. Pourquoi était-il venu ? Et comment savait-il où elle était ?

C’est probablement ça qui signa leur vie, une amitié née malgré la maladie et d’une passion commune. Azel devient donc le premier ami et probablement le meilleur ami de Keri’ et un support indéfectible pour la jeune fille face à tous ses problèmes de santé.

Avec ce soutien, Keri’ travaillait d’arrache-pied pour devenir ce qu’elle voulait être, même si la maladie freinait ses relations sociales, la rouquine ne laissait pas son corps piéger son esprit, comme le pneumologue lui avait pris. Néanmoins, plus elle vieillissait plus la maladie gagnait du terrain. Et petit à petit, elle se retrouva de plus en plus à l’hôpital. Comme seule compagnie ses parents ou Azel qui passait l’amuser, comme le jour où il obtint son amélioration. Elle avait besoin de ça, oublier momentanément la maladie, le rire de son meilleur ami. Oublier le fait d’être branchée à une machine pour vivre, toujours de plus en plus maigre. La mort pouvait être si tenace parfois.
Lorsque Keri’ y réfléchissait, c’était dur de vouloir vivre en connaissant seulement une vie de douleur. Mais l’espoir qu’elle avait tant, la maintenait en vie, l’espoir de voir son rêve se réaliser. Et peut-être également un rêve un peu plus enfantin : avoir des amis… Trouver quelqu’un à aimer. C’était peut-être un désir niais, mais Keri’ se tuerait avant de l’avouer, elle aurait aimé avoir quelqu’un qui la chérisse.

Puis elle reçut l’opportunité de son amélioration. Des poumons. Elle pourrait marcher, courir, sauter, absolument tout faire. Elle pourrait tout faire, l’hésitation n’apparut pas une seule seconde. Elle accepta, et lorsque son opération fut terminée. La première chose qu'elle vit, se fut le masque, les fils et elle prit peur. Mais son pneumologue arriva avec un sourire.

« Tu es prête à respirer toute seule ? »

Le masque qui cachait a moitié de son visage, l'oxygène, tout fut retiré, et elle goûta l’air. Et elle se mit à pleurer, elle était si heureuse que toute sa tristesse de frôler la mort tous les jours éclata. Le pneumologue s’était attaché à cette petite fille devenue adulte.

« Tu ne seras plus jamais à bout de souffle, Keridwen. »

Et effectivement, elle ne le fut plus. Mais cela resta une de ses plus grandes peur, manquer de souffle, ne plus pouvoir respirer, créant des accès de claustrophobie. Durant deux ans, Keri’ put enfin exercer le métier qu’elle s’était jurée de faire, mais surtout tenter de se remplumer et comprendre comment ce monde fonctionne. Keri’ était prête et allait croquer la vie à pleine dents.

Désormais à 23 ans, elle dirigeait des opérations parfois périlleuse, souvent sur la route, elle découvrait la vie, et les gens. Elle adorait vraiment cela, découvrir, voyager, travailler, échanger avec des gens. La vie, elle l’aimait plus que tout.