L’arc bandé, j’étais prêt à décocher. Le cri annonçant l’envol de ma cible retentit. Mon instinct, fruit de mon expérience de chasse, s’exprima. La décoche fut violente, rapide, à la vélocité mortelle. Ma cible cria a nouveau, un râle de douleur. La force de perforation venait de lui arracher une partie de son aile. J’aurais moins de plumes à revendre… Mais je pouvais aller abréger ses souffrances selon les rites, et ainsi ajouter ce gibier à mes offrandes au village qui me logeait pour l’occasion.

D’un pas rapide, je me déplaçais vers le lieu de chute de ma proie. La trouvant, je prie mon couteau et je réalisais le rituel pour remercier Navarra et les gardiens de cette offrande. La nature est sacrée pour nous, natif. Et je transmets ce respect du sacré par ces quelques gestes.
Ceci fait, j’attachais cette perdrix rouge par les pattes à ma ceinture. A l’opposé de mon carquois. Je calais ensuite mon arc sans le décorder. Sait-on jamais que j’en ai besoin avant d’arriver au campement. Ainsi, j’ajustais ma tenue de cuir et de tissu pour repartir. Marchant dans les herbes, j’étais attentif à de potentielles pistes. Soudain, une voix humaine retentit et je tournais brusquement la tête.

L’énergumène avait une chevelure d’un blond intense, et des vêtements terriens que je jurerais peu adapté à l’endroit. Mais surtout, je n’avais pas besoin de demander s’il était natif ou non avec ce qu’il osait demander. Glissant ma main vers le fourreau de mon couteau de chasse, situé prés de mon carquois, je fronçais des sourcils.

« Pourquoi un terrien comme toi voudrait participer à nos rites ? »

Suspicion. Je suis persuadé que se sont les humains qui ont tué la représentante de notre culte alors, savoir qu’un humain veut connaître nos rites… Je suis mal à l’aise. Et agressif dans ma façon de parler. Et puis, c’est quoi un pâtissier ? Un type de chasseur ?! Sans compter que le village temporaire nomade qui m’accueille pour quelques jours n’est pas très loin. J’ai peur qu’il s’en prenne à eux !

L’incrédulité se glissa dans mon regard alors qu’il prenait une pose bizarre. Euh… Il s’est cogné fortement sur la tête avant de me parler celui-là ? Non ! C’est pour me faire baisser ma garde, j’en suis sûr ! Ma main se resserra sur le pommeau de mon couteau et son discours me rendit perplexe. Les… pâtisseries ? Que l’on se donne ? Ils parlent des offrandes à qui et quoi lui ? Je crois que là, je ne cachais plus mon incompréhension face à son charabia. Je ne savais même pas quoi lui répondre, tellement la situation me semblait incongrue. Devrais-je le faire fuir en lui faisant peur ? L’écraser contre le sol pour le faire déguerpir ? Lui tirer une flèche dans le genou ? Ou simplement le laisser dans son délire et me casser ? Le fait que soudainement, il prenne son sac me fit reculer d’un pas. En fait, je crois qu’il fait un peur cet humain !

« Euh… J’vais t’laisser, ça vaut mieux… »

Pour ma santé mentale surtout. Sinon, je risque de vouloir l’éliminer. Il me fout les chocottes mais je refuse de l’avouer ! Mais alors que je veux me détourner, il prend un air triomphant en me tendant un truc. Un muffin ? C’est quoi ? Cerise et chocolat, je connais ! C’est donc un dessert ? Je ne me suis jamais intéressé à ce que les terriens mangent… C’est du bout des doigts que je prenais euh, l’objet ? Une main toujours prêtes à dégainer, sait-on jamais, je ne savais pas trop comment réagir.

« Et c’est quoi le rapport avec nos rites ? » demandais-je finalement.

Je crois que j’ai affaire à un fou. On doit les traiter comment déjà, ceux qui ont prit un coup sur la tête à la naissance ? Un grand oncle m’en avait parlé, mais je ne pensais pas un jour rencontré un de ces énergumènes.

« Je dois faire quoi avec ce… muffin ? C’est une offrande à Navarra ? Cela se plante ou se mange ? Et je ne vois pas la cerise… »

Rah ! Il me fiche mal au crâne celui-là !! L’air le plus sérieux du monde, je lui demande :

« En fait, tu serais pas un peu dingue comme terrien ? J’comprends rien à ton délire. »

Je sais même plus si je dois le détester ou pas : c’est dire !

La méfiance cédait petit à petit sa place à la perplexité. J’avais du mal à saisir sa logique, ou la raison le poussant à venir se mettre en danger dans les territoires de l’Est. On est proche du territoire des Waban, qui aiment commercer avec ceux de son espèce, mais la prairie Hune est encore plus à l’Est de notre position.

« Les nomades vivent de chasses et de cueillettes. Un peu d’élevage selon les clans ou convois. La nourriture : c’est difficile. J’en ai jamais vu de la comme ça. Mais du sucrée, on a. Mais pas pour les rites. Lors des fêtes, oui. Mais y’a pas de fêtes avant le mois prochain. Le 30 Maehe, la fête des plumes. »

En plein Pepuere, y’a pas vraiment de festivités. Y’a le froid par endroit, et par moment, qui rend même la chasse compliquée, et la cueillette encore plus. En tout cas, je regardais avec un gros doute ce que je tenais dans la main. Mais, petit à petit, j’avais retiré mes autres doigts de mon pommeau. Il est juste dingue, mais pas méchant on dirait.

Par contre, si j’appréciais qu’il prenne une de ses choses pour la manger devant moi, comme pour me montrer que c’était pas empoissonné… Je fus vexé par son explication. Mon visage se fit boudeur, et j’ajoutais en le foudroyant du regard.

« Je suis pas idiot ! Je sais manger ! »

Piqué au vif, je regardais désormais le truc marron avec défi. Je vins à croquer dedans comme si j’affrontais un adversaire, avec férocité. Le fait est que c’était liquide dedans ! Et du jus coula sur mon torse depuis mes lèvres. J’en avais plein les doigts ! Pourtant, le goût en bouche était… étonnant ? Je vins engloutir ce qu’il restait, et je léchais même mes doigts après. Le goût de la cerise était si vrai, si frais !

« Dit le nombrilien fou, comment tu fais pour avoir du jus dans ton pain ? Et puis, ce pain il est sucré et moelleux ! »

La curiosité était en train de m’envahir. Je pris ma perdrix et la lui tendis :

« Combien on peut en échanger contre une perdrix ? Je veux en offrir au village qui m’accueille ce soir ! »