Aata Afaitu avait toujours quelque chose à faire. Il n’était jamais inactif et quand il en venait à avoir un peu de temps libre – ce qui était rare – il refusait ce répit et trouvait aussitôt de quoi s’occuper. Il ne se plaignait jamais d’être surchargé de travail, au contraire. Il était convaincu que c’était cela qui l’avait maintenu en si grande forme malgré son âge. Le travail pour lutter contre les affres du temps ! La formule lui plaisait, mais il savait que ce n’était pas la seule raison de sa bonne santé.
La plupart des gens pensaient qu’il devait son incroyable forme au sport qu’il pratiquait quotidiennement. A ceux-là, Aata ne donnait jamais tort. C’était en effet l’un des facteurs principaux, mais il y en avait deux autres qu’il plaçait au dessus. Le travail donc, mais surtout sa dévotion pleine et entière à Navara. Certes, il n’était plus prophète intermédiaire depuis vingt ans, mais il était convaincu que son métier de guérisseur était une autre forme de service religieux. En servant les natifs et les hommes, il servait Navara, de la même manière que, jadis, en servant Navara il avait servi les natifs et les hommes. Et la divinité, dans sa grande bonté, le lui rendait bien.
Mais, s’il ne rechignait jamais à la tâche, le vieillard avait comme tout le monde un jour ou l’autre besoin de repos. Tous les ans, quand venaient les beaux jours et que les maladies battaient un peu en retraite, il s’offrait deux semaines de congés durant lesquelles il quittait la ville, seul, et partait vivre dans les montagnes en parfaite autarcie. Là, il voyageait à pieds en longeant la rivière Hepetema, vivant d’eau fraîche, de plantes sauvages, de prières et de méditations. Parfois, à la nuit tombée, son gardien lui rendait visite, ce qui l’emplissait d’une joie immense et raffermissait encore un peu sa foi. Et toujours, seul dans ces montagnes, il parlait à voix haute, adressant des paroles à Mahita, espérant qu’elle les entende de là où elle se trouvait désormais.
Quand il retrouvait la civilisation après ces petits périples annuels, Aata était plus en forme que jamais, et aussitôt de retour chez lui, il se remettait au travail. Mais cette année là ce ne fut pas le cas. Oh, il était débordant d’énergie, à ce niveau là, rien n’avait changé. En revanche, en arrivant à Ranunga, il ne fila pas tout droit à son herboristerie. Une autre tâche l’attendait avant cela.
Depuis presque dix mois, il avait rejoint l’équipe de bénévoles du G.A.D. C’était pour lui une nouvelle manière de rendre service aux autres. Quand Lloyd lui avait proposé de faire partie du groupe, le vieillard n’avait pas hésité une seule seconde, et c’était avec plaisir qu’il avait perdu encore un peu de son temps libre.
Ce soir là donc, rentrant tout juste de ses deux semaines de retraite, il prit la direction de la place centrale de Ranunga pour nourrir les pauvres. Il était impatient d’y être car il aimait voir les sourires s’afficher sur les visages de ceux qu’il servait là-bas. Mais, plus que tout, il aimait parler avec eux. La chaleur de la soupe déliait les langues, et les discussions qui s’en suivaient donnait au guérisseur l’occasion de prodiguer les conseils dont il n’était jamais avare.
Il marchait d’un pas vif, pressé d’accomplir la tâche qui serait bientôt de nouveau sienne, quand une voix derrière lui l’interpella. Il s’arrêta avant de se retourner pour voir qui voulait le retarder. Reconnaissant son homologue humain, il sourit avant de répondre à son appel.
« Lloyd ! Quel plaisir de te revoir. » Et de le rejoindre pour lui donner l’accolade sans y avoir été invité.
« J’imagine que nous allons au même endroit. A moins que tu ne m’aies croisé par hasard et appelé pour t’aider à résoudre un problème dont la solution t’échappe ? Dis-moi tout, mais avant cela, racontes-moi ce qui s’est passé à Ranunga pendant mon absence ! »