Ce sentiment de solitude l’apaise. Seul, en pleine nature, le jeune homme a l’impression d’enfin pouvoir reprendre son souffle. Que ce soit dans de denses ou sombres forêts, ou bien des prairies et plaines désertes de toute activité humaine, le chasseur se sent chez lui. Il pourrait rester là, à ne rien faire de la journée si ce n’est contempler le paysage environnant. Mais pas aujourd’hui. S’il se trouve dans cette prairie, c’est pour une raison particulière, une mission. Ramener du gibier. Une mission plutôt simple, confiée par un marchand natif, mais qu’il prendra avec grand sérieux. Le chasseur sait combien la méfiance à son égard ne fait qu’accroître et ses clients d’autrefois ne sont plus aussi enthousiastes à l’idée de faire appel à ses services. Une certaine hypocrisie en soit. Beaucoup des siens sont les premiers à dire qu’ils étaient mieux sans l’espèce humaine qui représente une menace pour l’univers des natifs. Pourtant dès qu’il est question du groupuscule terroriste, certains natifs se braquent, pensant qu’il est impossible que les leurs aient décidé d’emprunter cette voie. Bien que toutes les preuves soient là. Alors, maintenant on fait attention à ce qu’on dit, on évite de crier haut et fort ses idéaux. À la place de ça, on préfère regarder avec méfiance ceux qui sont suspects de faire parti de ce groupuscule. C’est le cas d’Asahavey, après tout, lui qui admirait tant ses frères, a certainement eu envie de se joindre à eux ? C’est le genre de question qu’on se pose à son sujet. Ce qui l’oblige à garder sa capuche, se sentant ainsi protégé du regard méfiant des autres. Même pas encore paria qu’on le traite déjà tel quel.

Un soupir et il secoue la tête, chassant ces pensées de son esprit. Le calme, il est venu ici pour le calme. Et pour remplir sa mission. Quelques morceaux de viandes et il pourra avoir sa paie. Restant aux abords de la prairie Hune, là où des arbres viennent dessiner ses limites, le chasseur observe silencieusement la scène. Perché en hauteur sur un arbre, les cheveux dans le vent, d’un regard d’aigle, il cherche sa proie. Finalement, il repère un petit troupeau non loin de lui. Le chasseur, prêt à agir, noue ses cheveux et enfile sa capuche avant de préparer son arc.

Il vise et d’un calme absolu, vient tirer en plein sur sa cible. Une première flèche qui a pour effet d’affaiblir sa proie et de surprendre les animaux autour. Immédiatement, sa cible se met à avancer rapidement sans réellement savoir vers où se diriger. Asahavey s’élance à sa poursuite, toujours à une distance raisonnable en restant dans les arbres. Une deuxième flèche et le voilà ralenti, le gibier à portée de main il ne lui manque plus que le coup de grâce. Le brun s’apprête à sauter de son arbre pour saisir sa proie, mais le voilà devancer par une silhouette qu’il n’avait pas remarqué. Cette même silhouette inconnue semble vouloir lui piquer sa proie, ce qui ne plait bien évidemment pas au jeune homme. Il quitte alors son perchoir s’avançant vers ce voleur. « C’est le mien. Je l’ai vu le premier. » qu’il dit dans son dos. Croisant les bras contre son torse, le chasseur attend des explications et surtout, il attend de pouvoir récupérer son dû, l'animal attendant toujours au sol.

La tranquillité envolée, le calme évanoui, la solitude disparu. Si Asahavey pensait pouvoir profiter de cette journée en limitant les contacts avec autrui, ses espoirs sont maintenant réduits. Le jeune homme reste calme en apparence, droit, attendant patiemment une réponse ou dans le meilleur des cas, que cette silhouette s’évapore à son tour. Mais il n’y est rien. Sa voix, pourtant dénuée de toute agressivité, semble surprendre l’inconnue. Ce n’est pas son souci, lui il veut simplement retourner à sa partie de chasse – en solo, bien évidemment. L’intrus se retourne et le jeune homme se surprend à détailler cette paire d'yeux qui rencontre les siens. D’un vert aussi étincelant que l’émeraude, aussi profond que l’océan et aussi vivant qu’une forêt. Il n’a jamais vu de pareils yeux, que ce soit auprès des siens ou des humains. Il ne s’en laisse pas déstabiliser pour autant, cette jeune femme aux yeux verts reste fautive. Tandis que lui ne bouge pas d’un centimètre, la demoiselle s’approche avec confiance, une démarche féline et un fin sourire qui surprend davantage le jeune chasseur. Son visage n’exprime ni remord, ni culpabilité ; elle ne compte pas s’excuser et pire encore, elle ne semble pas comprendre que lui ne plaisante pas.

Il l’observe toujours, silencieux, droit et peu ouvert à la discussion. La voix de la demoiselle retentit finalement, se trouvant des excuses. Devrait-il la croire ? Il n’est pas sûr. Ses lèvres s’entrouvrent par surprise mais il ne trouve rien à répondre face à ces accusations, alors elles se referment, ne représentant plus qu’une mince ligne droite. Ses sourcils se froncent, mais lorsqu’elle continue, il comprend qu’elle ne va pas lâcher l’affaire. L’inconnue se retourne avec grâce, faisant voler ses cheveux, donnant cette impression que le temps s’écoule au ralentit. Le jeune chasseur en reste abasourdi. Elle ose réellement lui tenir tête ?

Asahavey se reprend alors et d’un pas tout aussi décidé, il s’avance vers elle. Il s’apprête à saisir son poignet pour l’arrêter dans sa course, mais il se ressaisit au dernier instant. Les contacts physiques, ce n’est pas pour lui. Au lieu de ça, il avance plus vite et la dépasse de quelques pas. Là, il lui fait face et tend le bras pour lui bloquer le passage – restant tout de même à une certaine distance. « Je ne te juge pas, tu empestes simplement l’humain. » lance-t-il d’une voix toujours aussi calme. Se montrer désagréable n’est habituellement pas dans ses cordes, mais cette fille n’a pas l’air de comprendre qu’il ne veut pas jouer avec elle. « Ce coin est déjà pris, trouves en un autre. » Son regard ne quitte pas le sien, calme en surface mais avec une certaine froideur tout de même présente. Un regard lui intimant de partir.

S’affrontant tous deux du regard, ni l’un ni l’autre n’ose dévier les yeux le premier. Asahavey pourrait rester là, à la fixer de ses yeux sombres jusqu’à ce qu’elle comprenne le message. Ou plutôt, jusqu’à ce qu’il se lasse de ces orbes verts si envoûtants. La demoiselle semble presque vexée de sa remarque, pourtant il ne peut le nier, cela se voit à des kilomètres qu’elle est humaine. Il observe silencieusement ses gestes théâtraux et ne peut s’empêcher de rouler des yeux. Voilà qu’elle se met à le vouvoyer et à adopter une certaine politesse en plus. Décidément, cette fille est bien étrange. Il soupire, il n’en a que faire de son attitude, pas plus qu’il ne se soucie de son soi-disant pauvre petit cœur. La voleuse n’a pas besoin qu’il entre dans son jeu pour y trouver de l’amusement et du divertissement, laissant résonner un petit rire qui ne fait que confirmer ce qu’il sait déjà ; elle ne partira pas. À son plus grand désarroi, son regard rencontre de nouveau le sien et contrairement à ce qu’il aurait espéré, elle se met à sourire, pas le moindre du monde impressionnée par sa froideur.

Le jeune chasseur l’observe avancer de quelques pas, il a lui-même un léger mouvement de recul par réflexe, comme s’il craignait le moindre contact physique risquait de l’électriser sur place. Néanmoins, il reste en place, ne baissant pas le bras pour la laisser passer. À sa grande surprise, la demoiselle vient poser sa main sur son bras et il ne peut que la dévisager avec de grands yeux. À quoi joue-t-elle ?! Il n’a pas le temps de réagir qu’elle se glisse sous l’obstacle que représente son bras tout en laissant ses doigts y glisser avec douceur. Furieux, il ne réagit pas, se contentant de la fusiller du regard.

Lorsqu’il se retourne finalement, elle lui fait face, ancrant de nouveau son regard dans le sien. Il y a quelque chose de différent chez elle. Quelque chose qui l’intrigue, mais qui ne le réjouit pas pour autant. Elle lui demande son nom, non sans se moquer de lui une fois de plus. Pris d’une courte hésitation, Asahavey se demande si elle attend une réponse sérieuse ou si ce n’est là qu’un moyen comme un autre de le taquiner davantage. D’autant plus que son nom n’est plus signe de fierté… Et puis, à quoi bon ? Ce n’est qu’une humaine. Elle doit sûrement tout ignorer de sa famille si particulière. Alors, il répond dans un murmure sans sourciller. « Asahavey Calian. » Il n’arrive à quitter ces orbes émeraudes, alors il reprend. « Toi ? » Il n’en a que faire de la politesse et des manières. Elle a été la première à le tutoyer après tout. Il avance de quelques pas, non certain s’il devrait continuer sa partie de chasse tout en l’ignorant ou bien s’il devrait se montrer plus convaincant en l’invitant à aller ailleurs. Pourtant, il reporte son regard sur elle et remarque qu’elle est, elle aussi, équipée pour la chasse. Qu'importe. « Je suis ici pour le boulot. » Autrement dit, n’interviens pas dans mes affaires.

Ce qu’elle est gonflante, cette fille. Il lui aurait bien donné une leçon, mais Asahavey n’est pas comme ça. Pacifiste et calme en toute situation. Il n’éprouve pas le besoin de s’énerver pour un rien. Cela n’en vaut pas la peine. Du moins, c’est ce qu’il se répète à chaque fois. Il ne la connait même pas, alors pourquoi se fatiguer ? Elle n’en vaut pas le peine. Chasser seul serait-il devenu un luxe désormais ? Il est rare que le jeune homme croise du monde lors de ses parties de chasse, en particuliers car il choisit toujours de s’isoler en s’aventurant là où d’autres ne mettent pas les pieds. Cependant le précieux gibier recherché par son client se trouve ici, dans ces plaines verdoyantes qui sont tout, sauf hostiles. Pas étonnant que ces terres en attirent plus d’un. Mais le souci n’est pas là. Elle peut très bien chasser, si elle le veut, il ne va pas l’en empêcher. Pour quelle raison le ferait-il ? Ce qui lui pose problème, c’est qu’elle se mette en travers de son chemin et qu’elle ne semble pas prête à déguerpir. Un premier avertissement, une invitation à partir, un ton froid et un calme dissimulant une certaine impatience. Rien de tout cela ne suffit à lui mettre la puce à l’oreille. Se plait-elle à jouer l’ignorante ou l’est-elle réellement ? Impossible pour le jeune chasseur de le savoir.

Le natif se présente, déclinant tout juste son identité. Il n’a pas besoin d’en dire plus. Elle n’a pas besoin d’en savoir plus. Bien sûr, il aimerait également savoir son identité à elle aussi. Histoire de mettre un nom sur ce sourire joueur qui le cherche un peu trop. Il ne s’empêche tout de même pas de lui faire savoir qu’il n’a pas toute la journée devant lui et qu’elle lui prive d’un temps précieux. Oh oui, il aimerait lui dire de dégager. Mais Asahavey préfère la subtilité et le calme de la froideur, pas besoin d’hausser le ton ni de se montrer grossier. Son attitude se charge de faire connaître ses pensées. La demoiselle reprend sa comédie et il se retient tout juste de soupirer, pourquoi tant de manières ? Est-ce ainsi que les nobles humains de comportent-ils ? Naturellement, il vient hausser un sourcil à l’entente de ses mots. Seul signe qui laisse transparaître qu’il l’écoute. Dix-neuf ans, vraiment ? Il en aurait dit quinze, tout au plus. « Bien, je te laisse retourner à tes occupations alors. » Un signe de tête et le jeune homme s’apprête à partir.

Ses plans tombent de nouveau à l’eau, voilà que la demoiselle reprend la parole. Ne voit-elle pas qu’il n’est pas d’humeur à bavarder ? Ses mots le surprennent et il doit bien avouer qu’il ne s’y attendait pas à cela. Le jeune homme lève les yeux au ciel, pensant qu’elle cherche là à le flatter. Si tel est le cas, elle s’y prend mal. Beaucoup d’hommes sont bien plus musclés que lui, à commencer par ses frères et les trois-quarts des guerriers natifs. Ses lèvres s’entrouvrent, il s’apprête à l’envoyer balader, toutefois elle vient de nouveau se montrer tactile, à son plus grand désarroi. Est-elle sérieusement en train de tâter ses muscles ou fait-elle cela pour l’embêter ? Sûrement un peu des deux. Lui lançant un regard scandalisé face à tant de familiarité, le jeune chasseur fronce les sourcils, venant par la suite saisir d’un geste rapide, mais sans violence, le poignet de la demoiselle. Il exerce une légère pression sur ce poignet, accompagné d’un regard noir, un message clair est perceptible ne me touche pas. Le loup en lui grogne, ses griffes sont prêtes à sortir, pourtant il n’en fait rien. « Y a pas que les pauvres bêtes que je pourrais tuer à mains nues. » qu’il répond dans un murmure bas qui a tout d’un grognement. Finalement le jeune homme relâche soudainement son poignet, d’un mouvement brusque cette fois. « Si tu penses cela, c’est que tu ne sors pas assez… Ou que tu ne te mêles qu’aux humains. » C’était son choix, lui-même ne se mêle aux humains que pour affaires. Le brun soupire et reprend. « Je préfère la concentration et la précision de l’arc à la brutalité et la violence pure… Et puis surtout, je préfère le calme. » Asahavey insiste bien sur ce dernier mot. Il s’éloigne très légèrement, mais pas trop, ne sachant à quoi s’en tenir avec la demoiselle. « Maintenant, si tu n’as plus d’autres questions, peux-tu me laisser reprendre là où j’en étais ? Ou tu n’as rien d’autre de mieux à faire ? »