Il a du charme, Ewen. Le charme du badboy comme on en voit dans les comédies débiles. Ewen, c'est une silhouette imposante, dépassant le mètre quatre-vingt. Un corps élancé. Une musculature sèche et quelques os se développant sous une peau légèrement tannée où bleus et cicatrices se battent en duel. Malgré les muscles, il a quand même l'air fin.  « Mais c’est une histoire de protéines, à force de manger du gazon »... Nan, c’est plus parce qu'il fume et qu'il boit plus qu'il ne mange. Mais ça lui a sculpté un putain de visage de muse masculine, avec les traits minces, les joues creuses de poète maudits et des pommettes assez saillantes pour qu’on se coupe dessus. Il a un côté assez féminin, avec ses longs doigts aux articulations noueuses aux phalanges abîmées.

Il a les yeux clairs, gris acier, un regard qui pourrait être perçant s'il n'était pas si souvent perdu dans le vague. Mais planqué derrière les verres de ses lunettes noires, ça change pas grand chose. Au moins avec ça, on ne voit pas les cernes qu'il trimbale comme son passeport. Il a les lèvres fines, fendues et rarement départies d'une clope et de son éternel sourire moqueur, tirant légèrement sur la droite et dévoilant ses canines.- Arrêter de bouffer des cadavres, c'est une chose par contre cesser d'empoisonner ses semblables, c'est une autre histoire. - Des mèches de jais mal coiffées et trop longues retombent sur son visage, contribuant à lui donner un air fatigué- les peignes et lui, ça n'a jamais été une grande histoire d'amour. Il a tendance à tout planquer sous un bonnet dont se dégage l'odeur légère de son shampoing parfum cèdre-citron.

En ce qui concerne sont style vestimentaire, Ewen ne sort pas vraiment du lot. Une chemise ou un t-shirt, un sweat ou une veste accrochée à la taille au cas où le temps se rafraîchirait. Il traîne ses vieilles doc's rappées et un jean tout ce qu'il y a de plus classique... Enfin, si on oublie les déchirures lorsque ça lui prend. On ajoute quelques piercings et tatouages et vous avez le tableau.

Ewen, c'est l'insoutenable légèreté du junkie hilare, cette étrange capacité à se délecter de tout et à n'être rien de ce qu'il subit. A l'image d'un chatfouin il est insaisissable, étudiant ses semblables et les natifs comme des créatures totalement étrangères. Il laisse sa langue et ses actes pousser les autres dans leurs derniers retranchements, dévoilant ce qu'il y a de plus horrible chez eux, se délectant des pires horreurs. Il est pas méchant, pas vraiment, juste terriblement inconscient.

Dénué de toute notion de bien ou de mal, Ewen a toujours refusé de se laisser inculquer un quelconque sens moral, préférant se hisser lui même en dieu de sa propre existence. Sans le moindre repère ni modèle, Ewen s'est gavé des récits les plus atroces comme les plus mièvres, pouvant s'étonner des gestes les plus anodins comme ne pas ciller devant la pire des injustices. Il reste essentiellement un enfant n'ayant pas grandit et reçut une éducation qui aurait pu faire de lui un humain relativement décent, instable et inconstant. Doux et avenant un jour, bête sauvage le suivant.

Ewen est désireux de tout connaître, comprendre et expérimenter, ne se souciant guère des autres et encore moins de lui-même. Il se développe en marge de la société, à l'image d'une mauvaise herbe. Il observe ses semblables tels des fourmis suivant un chemin tout tracé, se disant qu'il aurait pu n'être rien de plus qu'un point parmi des centaines. C'est un être insatiablement avide de l'obscur et de l'incertain, de ces singularités qui font le monde Monde.

C'est un intellectuel, cerveau tournant dans sa propre bile d'amertume face à l'incompréhension du monde et de l'Être. Cette essence pure et incertaine qui fait que ce qui est Est et dévoile au monde les singularités de ce qui pourrait être. Insatiable curiosité, destructrice soif de savoir. C'est un être qui ne connait que trop bien le monde, cultivé et instruit, misérable dans son humanité chaînes lui empêchant d'être plus qu'un simple amas de chair. Fasciné par ce qu'il méprise, l'homme et son fonctionnement profond, il voudrait en décortiquer les synapses pour déceler le secret de la création de l'esprit.

Un élan de folie sous couvert d'une foudroyante lucidité, Ewen sait manier les mots et adore s'en servir pour jouer avec les nerfs de ses interlocuteurs. Il perçoit les relations entre individus à sa façon, l'autre partie devant souvent se contenter de ce qu'elle reçoit. Ewen ne demande rien, si ça n'est qu'on le laisse observer. S'il n'hésite pas à se perdre en de longues tirades, il est rare qu'il laisse une prise quelconque à ses interlocuteurs pour qu'ils puissent engendrer un quelconque sentiment d'attachement en lui.

Oh, je vous vois venir. Non, il n'a pas peur de l'attachement, il ne se considère tout simplement pas de la même espèce, ni comme faisant partie du monde tout simplement, alors explorer ses propres sentiments est une idée qui ne lui a jamais effleuré l'esprit. Il rit avec vous, bois, s’enivre, vous observe, vous touche, sans jamais réellement entrer en contact avec vous. C'est une créature qui s'est perdue le long des sillons tracés par des plumes effacées. A l'image d'un livre, Ewen ne se considère comme rien de plus qu'un support qui se doit d'emmagasiner les secrets de l'existence.

Ewen a une ouïe de vulcain, à l'image d'un parabole espion, il a une amélioration des oreilles lui permettant de déterminer ce qu'il entend, par exemple en limitant les sons trop forts lorsqu'il augmente la sensibilité de son ouïe pour ne pas être dérangé par les sons plus proches. Il peut également régler ses augmentations sur les aigus où les graves. Il peut percevoir des sons jusqu'à 100 m à la ronde. Plutôt pratique pour observer et analyser les relations entre individus. 

Des pétales blanches se perdent dans le ciel, s'unissent et s'abandonnent dans une danse fascinante. Ranunga semble comme figée, endormie sous un épais manteau de neige semblant absorber toute vie. Un cri strident vient percer l'horizon, tandis qu'agonise la mère. Les muscles tendus, tirés, presque tétanisés par la douleur. Une goutte de sueur vient perler sur son front, glissant pour explorer ses traits déformés et enlaidis par l'existence qui trône depuis désormais trop longtemps entre ses reins. Une vie de labeur lui a creusé les épaules, durcit les traits, elle n'a pas atteint le quart de siècle qu'elle se laisse sombrer dans les bras de cet ange sombre espérant enfin y trouver du répit. Il naît, l'enfant. De ses entrailles, il s'étire jusqu'à l'en faire crever; la mère. Amère. La mère morte. Ils hurlent en chœur et s'abandonnent chacun à un monde nouveau, son premier souffle sera son dernier; à elle.

Le silence retombe, lourd et assommant, laissant place à une tension palpable. Le père se perd. Il ressent tout son amour dans ce dernier effort qu'elle fait pour le mettre au monde. Il n'a pas le droit de sombrer, cet enfant c'est son fardeau, l'écharde au fond du cœur qui ravive le souvenir de ce qu'il lui a pris. Il ne peut pas l'aimer. Il ne pourra jamais. Il ne sera jamais le père que Veerle voulait qu'il soit, il n'a plus la force d'avancer, pas sans elle. Ils la mettent en terre alors qu'il garde l'enfant dans ses bras. Il est chaud son corps, ça lui fait un bien fou et le déchire à la fois, par ce qu'il lui a ôté toute sa chaleur et il ne peut même pas lui en vouloir. Alors il s'abandonne, il s'oublie contre un corps inconnu, se perd en lui. Il ferme son esprit un instant et fuit cet enfant qui lui fend le cœur. Il ne veut plus le voir, sentir ce souffle contre sa peau, car chacun de ses souffles il les lui a volé; à cette femme douce et dévouée, à son soleil désormais calciné.

Il se déteste de le détester, il est faible, bien plus qu'il ne veut se l'avouer. Sa femme aurait du survivre, c'est le genre de choses qu'on ne lit plus que dans les histoires d'un autre temps, elle était trop fragile, malade, usée par le poids de son héritage, une maladie ancrée dans ses gènes dont cet enfant, tout ce qu'il reste d'elle, devra probablement souffrir également ravivant un souvenir trop vif.

Il a neuf ans et il s'en va, se lance à corps perdu sur les routes. Son père est tout ce qu'il a et même ça, il ne l'a pas vraiment. Les rares fois où il se donne la peine de rentrer il hante la salle à manger. L'enfant entend alors les bouteilles rouler, de même que son géniteur pester contre l'horloge, hurler qu'elle se moque de lui. Ewen se glisse alors hors de son lit, ses petits pieds rencontrant le carrelage gelé. Il s'arrête, frissonne sous la morsure du froid avant de s'avancer d'un pas feutré le long du couloir, s'arrêtant sur la porte entrouverte. L'horloge les observe alors de ses douze yeux narquois cette triste mascarade où le père enchaîne les verres, tentant désespérément de retrouver sa femme au fond de son verre et l'enfant, inerte, n'ose jamais franchir cette porte et lui rendre cette chaleur dont il a tant besoin. Le tic tac blesse, les secondes martèlent les "Tu l'as perdue." alors que les minutes chantent les "C'est ta faute." Chaque heure sonne le glas, le coucou qui ne sonne plus lui intime un "Elle ne reviendra plus." Ils restent là, dans deux mondes parallèles, en silence jusqu'à ce que la tête du père ne flanche, venant s'écraser sur la table. L'enfant retourne alors dans sa chambre jusqu'au lendemain où l'homme se glisse dans les draps de ce lit trop grand qu'il partageait avec sa femme autrefois; une odeur d'alcool ou un parfum étranger lui collant à la peau. Les seuls échanges avec son père portaient sur sa virilité, la ressemblance de l'enfant avec sa défunte mère l'agaçait, il tentait donc de creuser l'écart en faisant de son fils un homme, un vrai.

Ewen est las de ce quotidien désaxé, alors il quitte Ranunga avec pour seul baluchon sa désillusion, se glisse entre les monts et le volcan, avance malgré ses godasses trop petites - son père n'ayant pas suivi la croissance rapide du bambin - et la soif qui le gagne. Il se fait arrêter bien vite par des militaires, on le renvoie chez lui. Son père ne hurle pas, son regard est toujours aussi vide mais cette fois, c'est différent. Il est plus serein, Ewen le devine dans son regard, son départ l'a soulagé. Le lendemain il le retrouve effondré, c'est la première fois qu'il le voit pleurer. La première fois qu'il s'excuse. Il lui dit qu'il ne peut pas le garder. Ça il le sait. Il a toujours su qu'il n'avait pas sa place entre ces murs lourds d'une histoire dont il ne sait rien mais subit les répercussions. Il quitte les étranges mélanges architecturaux de Ranunga pour les tours d'or et d'ivoire d'Ora.

On l'envoie chez une tante éloignée, il se renferme davantage sur lui-même, préférant les livres à la compagnie de ses camarades. Il n'aime pas la ville, le vieil appartement vide vient à lui manquer, de même que les après-midi passés à explorer le lac et ses environs, s'imaginant aventurier combattant les têtards en quête d'un quelconque trésor. Lysje, sa tante, bienveillante, envahissante, en contraste trop violent avec les relations qu'il a pu avoir jusque là ne le pousse qu'à se renfermer davantage. Il se réfugie dans un monde imaginaire, renie une réalité déplaisante faites de gris délavés à la faveur d'un monde riche en couleurs. Il y trouve le réconfort, une place qu'il n'arrive pas à se frayer dans cette société aseptisée où les fourmis se débattent pour un brin de réconfort le soir venu, s'oubliant dans les bars. Ewen se plonge dans la lecture et sombre dans des idéaux d'une autre époque. C'est le réconfort d'une renaissance, d'un amour perdu pour l'orphelin qu'il est. Une image indicible à laquelle il se voue servilement, un amour tant convoité enfin trouvé. Les livres, c'est la seule chose à laquelle il peut donner sa confiance. C'est tout pour lui : des confidents, un soutien, une force. Sans sa foi, il n'aurait pas autant avancé dans la vie. Il apprend à aimer les écrivains tels des dieux oubliés, plus que le souvenir rapiécé de sa mère, même plus que sa propre vie. Il était incomplet. La foi lui donne de l'épaisseur, lui qui se sent toujours si vide, le voilà animé du savoir des romains, simplifiant des idées auxquelles un gamin n'aurait jamais du être confronté.

Avec le temps il s'émancipe des écrivains, se fait son propre avis, développe ses goûts et fait un tri dans ses passions, cramant les livres considérés comme inutiles et hissant les autres sur un piédestal. Son mépris des humains s'efface, il développe une fascination pour ces créatures qui inspirent ses dieux oubliés, elles sont à l'images des livres, des mystères à décortiquer. Mais Ewen, lui, c'est pas un livre. Détaché de sa propre humanité, il n'est que lecteur, il abandonne son identité humaine exigeant qu'on l'appelle "Chess", nom volé à cette créature à la fois effacée et omniprésente dans l'un de ses écrits préférés, en faisant une véritable obsession. Il arpente les rues d'Ora les soirs en attente d'un événement propice vers son ascension vers ce qu'il désire être, vers Chess. Il interpelle des inconnus, leur impose ses jeux que trop peu avaient le courage ou la compétence de suivre. Soit ils cessaient vite d'être intéressants, soit ils finissaient par se débiner mus par un soudain instinct de survie qui le dépassait. Il voulait juste comprendre... Voir les couleurs qui pouvaient se dessiner, ce qu'ils pouvaient inspirer... Il n'a jamais voulu blesser ou effrayer...

Du haut de ses 15 ans, il pense tout savoir, Chess. Il a lu tant d'histoires, tant d'existences ont parcouru ses synapses qu'il ne trouve dans les humains que le pâle reflet des écrits qu'il affectionne, la belle prose en moins. Elle lui est arrivée comme un piano de cartoon en pleine tronche, Nothing. Elle a pris le nom de cette âme perdue si chère à mademoiselle Britte, lorsque de ces lèvres peinturlurées de noir s'est échappé ce nom, il s'y est tout de suite retrouvé pendu. Not, elle est différente de tous les humains qu'il a pu connaître, elle épouse ses élans de folie, les sublime des siens, elle frappe, gueule, il peut la blesser sans qu'elle ne verse une larme ou qu'une lueur de frayeur ne naisse dans son regard. Ils défoncent leurs âmes brisées dans l'espoir que leurs fêlures puissent s'épouser et former un tout.

Not en a vu d'autres, bien pires que leurs petits jeux, simples preuves d'affection. Elle a besoin qu'on comble sa solitude, elle s'adapte, non pas comme ces chiennes en quête désespérée d'attention, juste naturellement. C'est une passion dévorante et destructrice. Elle le fascine, à l'image des muses sombres qui animaient la plume de Poe. Not et Chess, ils se développent en marge du monde, créant leurs propres croyances, expérimentant et repoussant toujours les limites. Le monde était un terrain de jeu et rien de pouvait les atteindre. Jusqu'au jour où ils s'aventurèrent dans l'école une fois toutes les portes fermées. Où ils avaient décidé d'en finir comme les ados trop dark qu'ils étaient en foutant le feu à cette fabrique à marionnettes... Le jour où pour la première fois il vit la peur teinter le regard de Not avant qu'elle lui tourne le dos. Chess était resté comme un con, au milieu des flammes. Le feu ne se propagea pas assez vite pour qu'il n'y laisse la peau, les autorités ayant étés prévenues par un appel anonyme.

Chess se sent vide. Le vide laissé par Not, du moins par l'image qu'il se faisait d'elle, le blesse plus que la brûlure qu'il a dans le dos. Elle vient lui rendre visite, Chess refuse de la voir, elle n'est plus rien. Non pas en raison de la trahison, il ne sait juste plus quoi faire d'elle. Il revoit son père pour la première fois depuis des années, il feint l'inquiétude, mais dans son regard on ne lit que l'agacement. Lisje, la tante d'Ewen panique, tente de comprendre en vain. Personne ne peut le comprendre. On le fait suivre par un psychologue en plus d'un passage en institut de détention pour mineur. Chess se contente de jouer avec lui, ressortant des histoires et des sentiments qui ne sont siens. Il n'en a aucun, il est bien au dessus de ça. On met tout sur le dos d'un manque quelconque de cadre familial, comme si une famille bienveillante était la solution à tous les maux. Tout cela coule sur son épiderme sans jamais l'atteindre, il se fiche d'être compris, il ne cherche pas dans les autres un écho à ce qu'il est, juste à combler le vide qui l'anime en se gavant de l'essence qui compose l'humanité. Tous identiques et à la fois si différents. Chess veut les comprendre pour s'en détacher. Perdre cette part d'humanité qui à rendu son père si faible.

Il pensait avoir trouvé une compagne en Not, mais elle s'est avérée n'être rien de plus qu'une expérience de plus, aux couleurs plus vibrantes que les histoires qu'il lui avait été donné de tirer de ses semblables, mais elle avait fini par se ternir. Leur histoire n'avait rien des romances à l'eau de rose, rien de ce qu'on pourrait qualifier de relation entre petit ami et petite amie, c'est ce qui lui plaisait. Mais comme les autres, cette histoire avait perdu de sa saveur. Dès sa majorité, Chess quitta le domicile de Lisje pour se perdre dans les bars d'Ora, finissant par s'y installer. Après tout, quel meilleur lieu que celui où viennent se perdre les damnés pour découvrir de nouvelles histoires? Lorsque la question de l'amélioration vint sur le tapis, ce fut une évidence, un outil supplémentaire pour se gaver d'existences, se les approprier et les dénaturer en venant bousculer le quotidien morose de ses sujets d'expérience... Augmenter son audition fut son choix.