Une nuée de poussière virevoltant sous le frottement des plumes, dans les yeux d'un bleu d'azur c'est comme si le temps se figeait, sa petite bouche trahissant sa fascination teintée d'euphorie alors que les courbes féminines se laissent portées par le son, comme une transe, hommage à Navara, ode au ciel et à la terre alors que la cape de plume accompagne ses mouvements comme si elle ne faisait qu'un avec la danseuse. Une chevelure écarlate comme sur le point de s'enflammer sous le couché du soleil cramoisie. En cet instant pour l'enfant dont la sixième année s'entame à peine ce n'est pas sa mère qu'il observe avec émerveillement, mais une incarnation d'Akuhata alors que le moment qu'il avait le plus attendu de l'année était enfin arrivé. Le moment à partir duquel elle lui avait promis de commencer son initiation, la fête des plumes était enfin arrivée. Son petit coeur palpite déjà, la tête pleine des histoires de sa mère, un coeur et un esprit vibrant déjà au rythme du futur et de ses rêves alors que l'observant il se souvient de l'histoire de la rencontre de cette dernière avec son gardien. L’espoir lancinant que comme elle, il le rencontrerait un jour, choisit par l'oiseau maître des volcans.

***

Un, deux, trois. Le corps de onze ans trésaille alors que sa jambe droite faiblit sous son propre poids, mauvaise réception alors qu'il s'étale dans un nuage de poussière. Une injonction qui retentit alors qu'il croise le regard de braise de sa mère, une mère qui en cet instant n'avait plus rien de maternant. Un rictus de douleur, mais il ne dit rien, se relevant pour reprendre la position. Une profonde inspiration avant de s'élancer, recommençant inlassablement le même mouvement jusqu'à la perfection, une exigence qu'il se devait d'accepter car il le savait, abandonner serait la fin de tout ses rêves : danser comme elle pour s'élever vers le ciel. Une ombre qui surgit dans le recoin de sa vision, perte de concentration alors qu'il tombe à nouveau dans un nuage de poussière, son regard d'azur croisant l'objet de sa déconcentration en deux pupilles jaunes emplies d'une intelligence certaine. Un moment comme suspendu, empreint de fascination alors qu'il ne peut détourner son regard du chat couleur de nuit malgré le ton dure de sa mère l'intimant de se relever. Un moment d'égarement qui se dissipe alors que le chat s'enfonce dans les fourrés et disparaît. Une poussée sur ses bras fins et musclés alors que le gamin se relève enfin. Une présence qui se rapproche de lui alors qu'il reste là encore quelques instants à fixer les fourrés où la silhouette sombre avait disparue. Une voix s'élevant à ses côtés, plus douce alors que l'instructrice a laissé de nouveau la place à la mère aimante.

" Oublies tout ce que tu as appris pour ce mouvement. Ressens le sol sous tes pieds nus, sens le vibrer au rythme de Navara alors qu'elle est aussi l'air que tu respires. En cet instant tu ne seras plus vraiment Gahialien, tu seras autre chose, sois l'oiseau qui s'apprête à prendre son envole, léger et puissant alors que tes pieds ne seront plus que des serres s'enfonçant dans le sol pour s'élever vers l'horizon. "

Encore légèrement perturbé il acquiesce sans vraiment comprendre l'intégralité de ce qu'elle venait de déclarer.

" Très bien. On reprend. "

Une profonde inspiration tout en étant incapable de se détacher totalement de la vision du regard de topaze, sorte de transe alors que son corps entre en mouvement, que son esprit projette l'image avec une simplicité presque déconcertante, la transformant alors que ses pieds ne sont pas des serres, mais des pattes agiles aux griffes rétractiles alors qu'il bondit à nouveau. Souple et aérien. Léger et puissant à la fois alors qu'il retombe gracieusement en un nuage de poussière.

Un silence qui semble durer une éternité. Un silence avant le bruit répété des mains s'entrechoquant entre elles. Un moment d'égarement alors qu'il met du temps à réaliser ce que ce bruit signifiait.
Succès.

***

Dans les draps le corps le corps entre deux âges s'agite, des perles de sueur roulant sur son visage adolescent alors que son esprit vagabonde dans les contrées lointaines du rêve. Visions étranges aux flashs saccadés d'une silhouette trouble d'un animal aux allures de cerf majestueux. Un cerf n'en étant pas un, il le sait très bien alors que sa queue semble n'être qu'une membrane végétale se laissant porter par le vent de la prairie luxuriante. Un soubresaut alors qu'il se réveil en sursaut, le corps trempé et le regard encore embrumé. Une certaine déception teinté pourtant d'une grand excitation alors que la certitude s'impose à son esprit comme un besoin viscéral et vitale. Il devait se rendre à l'est dans les prairies où régnait son gardien : Hune.
Son Huritao venait de débuter alors que l'appel avait commencé, très loin de celui qu'il avait imaginé depuis son plus jeune âge.

***

Deux semaines s'étaient déjà écoulées depuis son départ, deux semaines d'excitation et de découvertes ne faisant que renforcer l'empressement de l'adolescent. La chose s'était imposée d'elle même à la suite du rêve ayant tout provoqué, l'heure fatidique de l'appel était arrivée et sous l'impulsion de sa mère il était partie le lendemain même pour effectuer son pèlerinage. Un voyage plus long que ce qu'il n'avait jamais pensé, lui qui avait toujours cru que le gardien qu'il rencontrerait était le seigneur des montagnes du centre prêt desquels ils vivaient, une journée tout au plus. Mais chaque Huritao est différent et le siens l'avait conduit bien plus à l'Est, dans l'étendue de prairie luxuriantes et fascinante. Une véritable découverte pour le danseur qui n'avait que très rarement quitté sa région natale. Un voyage qu'il devait entreprendre seul, excité par ce qu'il signifiait, mais aussi rongé par l'appréhension de la rencontre avec son gardien, certainement le plus mystérieux de tous : Hune.

Il connaissait les histoires, les mythes et les légendes et son voyage n'avait été qu'une suite de découvertes et d'enrichissement alors qu'il avait été accueillie dans chacun des villages qu'il avait traversé avec la plus grande bonté. Une explosion des sens et d'émotions teintés de savoirs alors que plus sa destination s'était approchée et plus les différentes personnes qu'il avait rencontré lui avait raconté des histoires sur l’imprévisible Hune, celui que personne n'avait jamais osé touché. Et enfin il était là, la prairie s'étendant à perte de vue, à vrai dire il était là depuis plusieurs jours sans que rien ne se passe, attendant ce moment qu'on lui avait décrit comme une étrange flagrance dans l'air, celle des pollens se répandant et signifiant la présence du mystérieux Hune. Une certaine angoisse alors que l'idée stupide qu'il aurait pu lui refuser son passage à l'âge adulte, son don et par la même son identité lui traversa l'esprit. Une angoisse qu'il avait essayait tant bien que mal de cacher, mais l'attente devenait douloureuse face à cet appel plus fort que jamais.
Une certaine cruauté peut-être, alors que c'était comme si quelque chose grouillait dans ses tripes pour dévorer ses entrailles, insoutenable, insoutenable avant le délice parfumé se répandent dans l'air. Le regard perdu dans le vague, l'esprit embrumé de ses pensés il mit un temps avant de se rendre compte de cette dernière, une odeur délicieuse et indescriptible alors que c'était comme si soudainement une douce chaleur enlacé son âme, ses idées redevenant clair alors qu'il savait exactement où aller.

Sans réfléchir davantage, n'écoutant que son instinct et ses impulsions il s'élança dans la prairie verdoyante, abandonnant son sac et ses affaires sans demander son reste. Une course folle alors qu'il foulait l'herbe de ses pieds nus avec une grâce aérienne, qu'il s'enfonçait dans la luxuriance n'écoutant que son intuition, une intuition l'emmenant tout droit vers ce qui semblait être un petit bosquet se dessinant dans le lointain. Ralentissant le pas, essoufflé, ses pas se figèrent avant une profonde inspiration, un moyen de se réconforter et de rassurer, il était prêt. Lentement la silhouette au croisement des âges s'engouffre entre les arbres, le coeur battant la chamade avant de se figer devant la vision s'imposant à son esprit. Un émerveillement aussi magnifique qu'intimidant alors que devant lui, dans l'herbe grasse se dressait le gardien l'ayant choisis : Hune.
Se figeant il resta là un long moment à le regarder, des regards croisés alors qu'il pouvait sentir les yeux de l'animal sonder son âme, comme si ils étaient capable de lire en lui, tout, absolument tout. Un moment semblant une éternité avant qu'il ne sente comme une onde de chaleur se propager en lui, qu'il ne comprenne intuitivement qu'il pouvait avancer, comme une évidence, comme si les mots avaient étaient prononcés, une intention pure, échangée d'âme à âme. Prémisse d'un don qu'il était très loin d'imaginer, adolescent naïf et teubé.
Coeur battant la chamade il s'avance, avec respect, le regard toujours perdu dans une admiration sans bornes, détaillant sa silhouette et les sortes de végétaux se mêlant à l'animal aux allures de cerf, un ravissement teinté d'une profonde pulsation alors que toujours guidé par son intuition il s'arrête à un mètre de l'animal le fixant toujours de ses yeux emplis de sagesse et d'intelligence mêlées. Un regard qu'il finit par détourner en même temps que celui du gardien, suivant ses mouvement, l'imitant tout simplement alors qu'il se braque sur la silhouette sombre émergeant dans le bosquet.
Une silhouette qu'il connaissait bien.
Trop bien.
Paga.
Il en avait complétement oublié son existence quand le pollen s'était levé, une profonde honte l'envahie sous le terrible de choc de cette constatation. Une constatation honteuse qui n'eut pas le temps de s'éterniser alors que sans qu'il ne s'en soit rendu compte Hune s'était rapproché en une fraction de seconde, son museau se posant sur son cœur avant que la lumière n'irradie de l'intégralité de son corps, violente et pourtant d'une douceur extrême alors que sous son intensité il cru devenir aveugle. Un instant furtif alors qu'ouvrant les yeux il vit la lumière quitter son corps tombant au sol inerte, comme mort. L'espace d'un instant il voulu crier, un cri qui se transforma en feulement. Un coup de massue asséné à son esprit alors que la présence réconfortante d'une autre présence l'enveloppa, qu'il prit conscience qu'il n'était pas réellement lui.
Hune le fixait de son regard, pas son corps, mais lui, ses yeux, ceux avec lesquels il regardait en des nuances de couleurs bien plus ternes qu'à l'accoutumé.
Il n'était pas vraiment mort.
Il était Paga.
Un chat.