Les portes s'ouvrent à la volée. Une. Deux. Trois. Je prends à peine le temps de passer la tête dans l'encadrement, les refermant une à une dans des « S'usez ! » braillés à tout va. C'est sérieux ce qui se passe là et c'est bien pour ça que je perds complètement toute notion de sang froid, de zen, de contrôle, de calme. Bref. C'est la fin du monde.
Ou en tout cas pas loin.
J'ai bien senti ce matin en me levant que ça n'allait pas être une bonne journée. Mais bordel t'as les mauvaises journées comme celle ou tu fais tomber la sauce de ton kébab sur tes chaussures neuves et t'as les mauvaises journées ou ton meilleur pote, le bro de ta vie, le ying à ton yang et le sucre à ton café, l'ananas à ta pizza, bref, quand quelqu'un comme ça se fait arrêter pour meurtre... C'est définitivement la fin du monde.
Pièce par pièce, j’entends qu'on me gueule après en me demandant de bien vouloir faire moins de bordel. J'accélère le pas en ayant l'air le plus innocent possible. Comme si de rien était, les mains dans les poches. J'ai sorti ma meilleure carte pour entrer ici. Celle ou j'ai l'air au bout de ma vie à m’exciter tout seul en me lamentant comme quoi je dois absolument rentrer parce que c'est une question de vie ou de mort.
Curieusement ça a marché.
Ils sont vraiment prêts à tout pour des infos en fait... Quelque part ça montre que la situation est vraiment critique. Dans ce genre de moment, mon cerveau se met en mode auto-déni, bloqué sur le plus important pour occulter le reste. Et en ce moment le plus important c'est trouvé où ils ont planqué Arka.
Encore une porte.
« T'es làààà ! »
Victoire.
Arkady, seul et abandonné dans une pièce vide. Glauque à mort, mais c'est quand même un soulagement. Je respire enfin, comme si j'avais retenu mon souffle jusque là alors que j'ai fait que me foutre la pression tout seul. Je claque la porte avec un peu trop de force, écarquille les yeux devant le grand blond et ses cernes en soupirant de soulagement.
« Jure je pensais qu'ils t'avaient séquestré, j'sais pas ou pour t’interroger de force et tout ça m'a fait flippé vieux je te jure ça m'a foutu des crampes au bide je vais crever. »
Et j'exagère à peine.
J'attrape la chaise la plus proche pour m'y asseoir quelques secondes et souffler comme un vieux en fin de vie, à croire que c'est moi qu'on a enfermé ici toute la journée alors que j'avais le nez dehors y'a pas trois minutes.
Mais c'est éprouvant leur délire aussi, je suis pas conçu pour ce genre d'angoisses moi.
Après les deux secondes cinquante à me calmer, je sens tout mon corps se tendre de nouveau sous l'adrénaline et la panique.
Accusé de meurtre !
De meurtre !
« Mec ! C'est ! Qu'est ce que putain .. Quoi ? Comment ? C'est quoi le délire là genre soupçonné et tout? Qu'est ce que c'est là ? Qu'est ce t'as foutu ? C'est pour de vrais en plus... Mais il se passe quoi?! »
Faire des phrases construite et qu'on un sens c'est carrément une option dans ces cas là. Mes bras s’agitent dans tous les sens, désignant un coup le blond, un coup la porte, se levant au ciel comme pour mêler Navara au délire déjà surréaliste.
Mais j'ai besoin de réponses à mes questions à peine achevées.
Je jure que je vais mourir sinon.

Assis, au bout de ma vie et certainement de la sienne, au final, c'est lui qui me rassure d'une main amical logé sur mon épaule. C'est vrais que s'il y'a une personne au monde qui ne devrait pas être suspect, c'est bien lui. En vérité y'a pas grand monde que je vois faire ça.
La grande prophétesse. C'est quelqu'un. Une vieille dame respectée et aimée. Clairement, Arkady aurait jamais fait ça même si sa vie en dépendait. Pourtant il est là à dépérir entre quatre murs.
Bon au moins il est entier, il est vivant et il à pas l'air trop mal si on oublit son visage quand même un peu amoché.
Il avait un match hier ?
Non. Juste une épave à visiter.
Visiter une épave...
« Sans moi ?! »
Je suis certain qu'il entend mon cœur se briser là tout de suite. Les yeux écarquillés, outré d'un tel aveu, peut être même plus encore que s'il m'avait avoué être l’assassin, je lui pardonne l’affront de cette trahison parce que la situation est déjà bien assez dramatique comme ça. Et puis je suis beaucoup trop curieux pour lui en vouloir plus d'une demie seconde.
« T'as trouvé un truc dedans ? Raconte. »
Le meurtre quasi oublié, évincé par la carcasse rouillé d'un vieux vaisseau laissé à l'abandon depuis une éternité. J'ai étrangement aucun mal à l'imaginer passer la nuit à farfouiller dedans, n'importe qui connaissant un minimum Arkady le saurait.
« C'est là bas que tu t'es fait ça au visage?... »
Regard suspicieux sur les différentes blessures parsemant son visage. L'exploration d'épave peut être plutôt dangereuse, c'est vrai. Ce genre de truc est si vieux que tout tombe en ruine, on est pas à l’abri d'un accident, mais là sur sa peau, ça ressemble plus à des coups. Pas tellement inhabituel non plus, même si, la plupart du temps, c'est quand même lui qui gagne.

Sourire en coin, un peu trop content de rien me lâcher histoire de me faire mourir d'impatience jusqu'à ce que je puisse découvrir cette épave de mes yeux. Je sais pas si c'est sympa de sa part de pas me gâcher le plaisir ou foutrement cruel de me laisser dans l’ignorance.
Un peu des deux ?
Je ne lui en tiens pas vraiment rigueur, plus inquiet par sa présence ici et son état de santé inquiétant. Il s'est bien fait démolir. En y réfléchissant, c'est quand même vachement rare de le voir aussi amoché. Une part de moi essai désespérément de relativiser en se persuadant que c'est ce qui arrive quand on est boxeur. Mais quand même..
« Ils t'ont amené ici dans cet état .. J'espère qu'ils t'ont fait voir quelqu'un pour ça... »
Mon regard glisse vers la porte une seconde. Même si la situation est grave, pour ne pas dire désastreuse, je trouve qu'on aurait pu s'y prendre autrement qu'en les enfermant dans une pièce à subir les menaces et interrogatoire de qui veux.
J'en ai une boule au ventre rien qu'à le regarder.
« T'façon tu sors bientôt hein ? J'veux dire.. ils ont rien contre toi.. c'est pas interdit de visiter des épaves.. et puis y'a des témoins de ton match j'imagine.. du coup ils ont quoi à te reprocher ?. Ils te l'ont dit au moins ? »
Parce que c'est la moindre des choses en fait, mais je suis certain qu'ils n'ont pas pris cette peine. Beaucoup trop de part d'ombre dans cette affaire, comme depuis l'annonce de la mort de la prophétesse, j'ai un mauvais pressentiment.

Arka dans quoi tu t'es fourré encore...
J'ai du mal à cacher mon regard réprobateur. Qu'on se batte pour le sport, je crois que je peux le concevoir, mais pour de l'argent.. J'avoue que c'est un concept qui me dépasse totalement. Quand je vois l'état dans lequel ça met mon ami, je me dis que j'ai plutôt raison de pas trouver ça spécialement « normal ».
Je grimace à ses couinements et douleurs, pas plus rassuré qu'en entrant ici, peut être même un peu plus inquiet en réalité. On a essayé de le faire sortir de là sans y arriver. Un mec du conseil carrément, même s'il a raison, je me sens un peu vexé qu'il n'envisage pas une seconde que je puisse y arriver malgré tout.
« Tu sous-estimes mon pouvoir de persuasion. Ça me brise le cœur. »
C'est un vrai pouvoir que j'ai, celui de baratiner comme un pro, d'être tellement insistant, collant, geignard ou dramatique que je finis souvent par obtenir ce que je veux. Mais si ce genre de trucs marche avec ma famille ou mes amis, là, dans un cas aussi grave, je peux sortir tout les baratins du monde et le drama du siècle que ça ne les feraient pas changer d'avis.
Arkady va devoir attendre le verdict.
J'en ai une boule d'angoisse au creux du bide.
« Arrêtes, on va pas t’accuser.. Suffit de te regarder quoi.. Tu traînes avec des natifs.. t'es pas spécialement méchant. Ok tu fais de la box mais bon... Personne, avec un minimum de cervelle irait t'accuser.. C'est ridicule... »
Impensable. Impossible même.
Une erreur grossière qui devait rapidement être réparée.
Je ne sais pas qui j'essaye le plus de convaincre. Lui, ou moi.
Mon regard se pose sur lui, grave, presque trop sérieux, ce qui ne me ressemble pas vraiment. Mais rien de ce qui se passe ici nous ressemble. Derrière la porte, quelqu'un piétine en marmonnant quelques mots inaudibles.
« Je suis avec toi.. »
Je sens que mon droit de visite s'achève là. J'approche du grand blond en posant mes mains sur ses épaules. Si je pouvais, je le ferais s'évader de là. Tout de suite. Maintenant. Mais ce serait une grosse connerie qui lui finira par nous attirer plus d’ennuis qu'autre chose, alors je me contente d'un sourire beaucoup trop crispé par l’émotion et l'angoisse.
« Je serais là quand tu sors. Promis. »
Parce qu'il va sortir. C'est sûr. La porte s'ouvre finalement, je lui offre un dernier sourire dans un signe de tête et glisser vers l'encadrement en ignorant royalement le regard peu aimable qu'on me jette. J'imagine qu'en me montrant trop amical avec un humain dans ce genre de circonstance.. je ne vais pas me faire que des amis. Mais c'est bien le dernier de mes soucis.
Je sors de la salle, plus angoissé que jamais.
Direction l'ahurea
Si y'a bien un moment ou faut prier.. c'est maintenant.