Caché au milieu de hautes herbes, j’étais à l’affut. J’avais repéré la piste d’un petit gibier, et j’attendais désormais son passage. L’arc bandé, ma flèche encochée, la nuit tombait inexorablement sur la plaine. Le bruissement du vent dans les hautes herbes offrait à mes oreilles la mélodie habituelle de la nature. Pourtant, quand je voulu décocher ayant perçu ma cible, j’entendis un son de craquement. Était-ce un feu qui crépitait ? Ou des bruits de pas dans les hautes herbes ?! L’interrogation m’empêcha de désarmer ma flèche pour annuler mon tir. La flèche partit alors loin, et je me redressais d’un coup.

Là, le bruit de la pointe pénétrant le bois retentit dans le verger proche. Mais surtout, je vis le gibier s’enfuir. Sans oublier qu’au vu de la trajectoire, ma flèche avait frôlé une personne sans le toucher, et donc, sans le blesser. Pour autant, j’ignorais si je devais être content de constater cette présence humanoïde. Car voir gambader le lièvre dûment attendu me tira une larme au coin de l’œil. Et c’est d’un pas féroce que je fonçais sur l’inconnu à la peau sombre.

« Mais pourquoi t’es là, toi ?! »

Mon cri résonna dans la plaine, alors que je serrais fortement mon arc. Lorsque je perçu un petit craquement de ce-dernier je relâchais ma prise. Aïe, je vais devoir faire une réparation de fortune pour éviter qu’il ne casse ! Mais bien vite, je posais mon doigt sur le torse de mon vis-à-vis, avec un regard mécontent.

« Rends-moi mon repas ! »

Un grognement quitta ma gorge. Mais il fut vite accompagné par le son de mon estomac qui se plaint. J’attendais ma proie depuis des heures, sans bouger et surtout… sans rien avoir mangé. Et il a fait fuir ma proie ! C’est un vilain, ma parole ! Et vu ses habits… Et si c’était un humain ?! Cette pensée me fit reculer et me mettre un peu en garde. Suspect. Il est suspect…

Il ne comprend pas ? Non, mensonge ! Il doit faire l’innocent. Les humains font toujours les innocents, et vu sa tenue il est forcément des leurs. Et le voilà qui joue les gentils, les types attentionnés. Son regard écarquillé, c’est car il me reluque ? Je suis laid, je le sais, pas besoin de me regarder comme ça ! Je grogne un peu plus, et lui me dit qu’il est paumé ? Je me déplace autour de lui, en cercle, comme un animal à l’affut.

« J’suis pas nerveux. » Répondis-je néanmoins. Faut pas croire que les jetons non plus ! Je suis juste prudent. Et méfiant.

Finalement, je me stop face à lui.

« T'as fais du bruit… J’ai raté mon repas par ta faute » Finis-je par expliquer, la moue défaite par une grimace, et une distance de sécurité toujours effective entre nous.

« T’es un nombrilien ? »

Car oui, j’avoue, ça me travaille. Je sais qu’il fait frais, mais ce n’est pas une raison pour se couvrir autant ! On reste proche de Ranunga, et je crois qu’il y a pas mal de Natif en habit de Terrien là-bas. Idiotie de leur part ! Rien n’est mieux que les vêtements traditionnels ! D’ailleurs, je suis fier de ma petite fourrure qui couvre le haut de mon corps, et du pantalon de cuir qui couvre mes jambes. L’odeur animale qui en suinte parfois me permet de me fondre d’avantage dans la nature.

Il a l’air de comprendre ce qui ne va pas, selon ses dires. Pour autant, je recule sur mes gardes lorsqu’il glisse ses mains sur ses habits. Il est Natif alors ? Ses mots sont confirmés par son ventre, aussi plat et lisse que le mien. Cette vue me fait me détendre un peu. Je range mon arc, et me redresse un peu plus. J’allais lui demander pourquoi il était habillé comme Eux, mais il me l’explique de lui-même. Je ne peux pas retenir ma grimace quand j’entends qu’il vient de Ranunga, et que les humains en tenue native ne sont pas rare, comme les natifs en tenue humaine.

« C’est ce que j’aime pas à Ranunga. » dis-je, en bougonnant.

Je ne retiens pas mon air boudeur à cette information. Pour moi, les vêtements natifs sont une part essentiel de notre patrimoine. Il faut en être fier, et les abhorrer avec honneur. Mais je déteste la matière des habits terriens il faut dire. Par contre, ma curiosité est piquée en apprenant qu’il veut m’aider… mais surtout, qu’il est enfant de pêcheur !

« J’suis nul pour pêcher ! Enfin, si, j’y arrive au harpon… mais j’y met trop de force, et ça fait trop de bruits ou de dégâts. Et euh… ça finit par perforer le poisson et en faire une bouilli quand je dose mal ma force. »

Je ne peux que difficilement retenir ma gêne. Ma peau devient plus sombre, trahissant qu’avouer mon absence de délicatesse me met mal à l’aise. Le regard fuyant, mes index jouent l’un avec l’autre et mon pied droit fait des cercles dans le sol. Alors, le zieutant par intermittence, je fini par demander :

« Tu veux bien m’aider ? »

Et ma question est ponctuée par un bruit, tout à fait charmant, de mon estomac qui gargouille bruyamment. Mon lapin…

Je lui offris un grand sourire, quant il évoqua le fait de m’aider ! Même s’il n’avait pas énoncé Navara, le simple fait de me filer un coup de pouce pour mon repas désormais disparu dans le fond d’une tanière : c’était gentil. Mais j’en avais oublié de me présenter. Ma main glissa mes cheveux avec un petit air confus, mais je répondis :

« Ariihere, de la tribu Ele’i. Un jour, mon oncle m’a dit que c’était pire une flèche dans le genou, qu’une dans la fesse. Mais t’a raison, dans la fesse, ça fait mal pour s’asseoir. »

Mon index au niveau du menton, j’acquiesçais avec une grande force de croyance. Mais bon, je me sentais déjà plus à l’aise en sa compagnie qu’il y a quelques secondes ! Et la question fatidique arriva, et mon visage exprimait clairement mon intense réflexion.

« Huuuuuum…. »

C’est finalement un gros bruit de gargouillis qui m’interrompit. Un peu plus foncé, ma gêne faisant brunir ma peau un peu plus, je lui demandais simplement :

« Vu l’heure, le poisson ? Doit y’avoir moyen d’attraper des anguilles avec la tombée de la nuit : non ? »

Les lapins sont dans leurs terriers à cette heure… Je ne veux pas les déloger en enfumant leur maison. C’est méchant je trouve : mais radicale car ils se prennent à coup sûr le collet. Et puis, avec un sourire, j’ajoute :

« Et l’anguille à la braise, c’est super bon et rapide à faire ! J’te promets un festin si on en choppe ! »

Au pire, je trouverais bien quelques baies et racines à consommer, si on se loupe. Assez pour faire une soupe, je dois avoir un peu d’orge dans ma sacoche pour un gruau dans le pire du pire. Mais je lui attrapais la main, tout en rigolant, avant de nous entraîner vers la rivière ! Je faisais néanmoins attention à ne pas y mettre de force, pour qu’il puisse retirer son bras s’il le voulait ! Je suis pas une brute épaisse et méchante quand même !

« Allons-y ! C’est par-là ! »

Je me stoppais, me retournais, et demandais finalement :

« On fais la course ? »