Aata Afaitu n’était jamais le dernier à répondre oui quand on l’invitait à boire un verre. Il aimait passer du bon temps avec ses vieux camarades. Au fil des ans son corps avait acquis une certaine résistance qui lui permettait, en de telles occasions, de boire à outrance jusqu’au bout de la nuit. Il faut dire qu’Aata avait un secret qui lui permettait de ne pas se soucier de la gueule de bois : LE remède qui permettait de la contrer.
Il avait mis au point, un peu par hasard au début, un savant mélange de plantes qui, une fois infusées, donnait un breuvage qu’il fallait boire en grande quantités pour assurer ses effets. Un grand verre en étant encore ivre, avant de se coucher, et deux cul-sec en se réveillant au petit-matin. Et hop ! Au diable les migraines, les mots de ventre et la fatigue. Avec cette infusion, la tête vous sortait du
%$? en un rien de temps !
Cette fois-ci, Aata n’était pas rentré chez lui une fois la petite beuverie terminée. Il savait qu’il lui faudrait se lever tôt le lendemain tant il avait à faire à la boutique. Trois caisses pleines d’une multitude de plantes étaient arrivées juste avant qu’il ne baisse le rideau, et il lui faudrait tout vérifier, trier, et ranger. Tout cela sans compter qu’en cette période hivernale les patients étaient nombreux à venir quémander ses services. Il avait donc choisi de dormir dans son arrière boutique. Un grand canapé-lit s’y trouvait, prêt à le voir tomber de sommeil. Le temps qu’il gagnerait le lendemain matin en se réveillant directement sur place ne serait pas de trop.
Seulement voilà, en arrivant, la veille au soir, à son herboristerie, il s’était trouvé trop épuisé pour pouvoir prendre le temps de préparer son remède miracle.
« Tant pis, avait-il songé.
Ça me rappellera ma jeunesse ! » Et ça n’avait pas manqué de le faire. N’ayant pas pris la peine de fermer la porte de la boutique en y entrant la nuit dernière, il fut réveillé au petit matin par la voix d’un homme qui avait cru l’échoppe ouverte, et donc son gérant disponible.
Le vieil homme hésita à se lever mais finit par se faire une raison. S’il avait prit les dix minutes nécessaires à la préparation de la tisane avant de se coucher, il aurait été frais et dispos. Désormais il était trop tard pour espérer retrouver la forme et éviter les regrets. Il devrait faire avec.
La bouche pâteuse, les yeux mi-clos et le crâne douloureux, il quitta son lit, enfila une chemise propre qui traînait là par miracle et répondit du loin au client :
« J’arrive, j’arrive, un instant ! ». Il s’octroya une minute pour faire une toilette sommaire. Il s’aspergea le visage d’eau froide pour se redonner un peu de consistance, avant d’avaler un comprimé à base de plantes qui finirait tôt où tard par soulager sa migraine. Enfin prêt, il quitta l’arrière boutique pour aller affronter son premier client de la journée, journée qui promettait d’être plus longue encore qu’il ne l’avait imaginée.
Il fut soulagé en reconnaissant celui qui l’avait tiré de son sommeil. Lui et Ren se connaissaient bien, et le guérisseur savait que le jeune homme se montrerait compréhensif vis-à-vis de l’état du vieillard.
« Ren ! Quel plaisir de te voir ! Excuses-moi pour la tenue, la nuit a été longue pour moi… Qu’est-ce qui t’amènes de si bon matin ? »Aata sentit alors qu’il commençait à aller mieux. Son corps était bien plus résistant qu’il ne l’aurait pensé. Maintenant que sa journée était lancée, il n’avait de toute façon plus d’autre choix que d’aller au bout. Ce simple constat suffit à lui redonner quelques forces. Restait à voir si cela durerait aussi longtemps qu’il le faudrait...