Tu étais en colère Cassidy. En colère contre elle, contre le monde et surtout contre toi-même. Tu devais la protéger, veiller sur elle mais... mais tu avais échoué. Pire, tu lui avais accordé cette confiance que peu d'êtres humains, ou natifs, pouvaient prétendre avoir. Il y a longtemps tu l'avais aimé, et une partie de toi l'aimait toujours. Mais tu ne l'avais pas reconnu, au centre de cette grande estrade. Tu avais eu l'impression d'être spectateur d'une grande pièce de théâtre, et que ton amie jouait ce rôle effarouchée de la méchante traitresse. Tu t'en voulais de ne pas avoir su déceler, de ne pas avoir écouté les indices qui s'étaient disséminé tout le long du temps que tu l'avais côtoyé.

C'est le coeur vide et débordant d'une rancoeur que tu ne pouvais estomper, que tu courais dans les rues de Ranunga. Pour oublier peut-être, pour sentir l'air s'engouffrer dans ta gorge jusqu'à presque ne plus sentir la sensation même de respirer. Tu étais au bout. Navi aussi était partie, tu ne te sentais qu'encore plus seul dans cette tour d'ivoire ou tu travaillais. Mia était peut-être là, mais les raisons de ta présence n'étaient plus.

Une voix s'élève derrière toi, stoppant ta course. Tes jambes mécaniques se contractent sous ta peau, comme pour amortir ton arrêt brutal. Tes cheveux au vent fouettent ton visage alors que tu la dévisages avec stupeur, puis gravité.

— « Qui... »

Tu avais oublié son nom, même si des sons te parvenaient en mémoire. Cela finissait comme...

— « Alice ? »

Quelque chose t'échappait. Pourtant son visage t'était familier. Soudain, la mémoire recouvrée, tu vois son visage en haut de la falaise. Une grande prêtresse, native, que tu avais croisée alors que tu t'étais isolé dans les hauteurs.
La politesse t'aurait incité à lui souhaiter tes condoléances, car elle avait perdu sa supérieure et peut-être une amie. Mais tu étais trop amer pour en avoir envie.
Neutre, tu réduis les mètres qui vous séparent, pour lui faire face.

— « Felice. Comment vas-tu ? »

C'était presque risible de poser la question. Mais tu ne savais pas quoi demander d'autres afin de fuir toi même à celle qu'elle pourrait te poser.

Tu étais officieusement un diplomate Cassidy. On faisait souvent appel à toi pour négocier et parlementer avec les natifs. Tu n'avais pas arrêté, depuis l'arrestation de Iota. Alors pourquoi tu courrais? Pour échapper à ces fatalités qui avaient décidé de tomber en pluie de calamités sur tes épaules depuis des jours.

Etrangement, tu es soulagé qu'elle te pose la question, car tu vas pouvoir y répondre. Mettre des mots sur ces émotions qui allaient presque jusqu'à te détruire en ce moment même. Tu étais perdu, désorienté et le monde que tu avais difficilement construit s'écroulait sans que tu ne puisses avoir les cartes pour le réparer.

— « Je me doute bien que tu sois chamboulé. C'est normal. Tu dois être sous le choc. Je suis désolé pour toi. En réalité, je suis désolé pour nous." Tu te grattes la tête. "Cet incident affecte nos deux peuples, n'est-ce pas ? »

Les natifs se montreraient surement plus méfiants envers les humains. Même si Iota s'était révéler ne pas en être une. Et pour éviter une guerre diplomatique entre vos deux espèces, le gouvernement humain avait voulu appuyer sur la condition de traitresse envers les deux peuples. Elle avait assassiné un membre de sa race, se faisant passer pour l'autre. Infamie.
Etrangement, tu voulais surtout savoir pourquoi elle l'avait fait, mais elle ne s'était que vaguement exprimé à ce sujet et tu n'avais pas encore trouvé le courage d'aller la voir pour oser lui demander.

— « Je... J'avais besoin de prendre l'air. Je suis pas mal occupé depuis, surtout qu'on a perdu deux membres du conseil. »

Tu prends un air étrange. Tu n'avais jamais creusé la discussion aussi profondément avec cette fille. Tu venais par mégarde de lui révéler ton travail et ta position.

— « Hm.. Plus trop besoin de le cacher désormais. J'étais le collègue de la fameuse traitresse. Nous sommes deux à avoir perdu quelque chose il y a peu. »

Tu baisses la tête, un peu mal à l'aise de faire dans le sentimental. Mais spontanément, tu avais besoin de parler et Felice était la seule à pouvoir t'écouter.

Felice semblait troublée. Plus que triste, amère. D'humeur presque vengeresse. Cela t'étonnait, au vu du fait qu'elle était une femme de foi. Et son attitude n'était ni pieuse ni miséricordieuse. Tu comprenais que trop bien si haine s'insinuait dans son petit corps, toi aussi tu l'avais. Mais Iota était ton amie, elle avait été même plus. Tu n'arrivais pas à complètement la détester. Etrangement, tu lui en voulais pour ce qu'elle s'était fait à elle même, pour sa vie qu'elle avait ruiné plutôt que pour la vie qu'elle avait enlevé.

— « Je ne l'aurai jamais soupçonné. Surtout de sa part. Enfin.. »

Tu soupires à nouveau, tes yeux roulant du ciel jusqu'à ses cheveux. Tu descends ton regard tout de leur long, t'arrêtant en rougissant au dessus de ses fesses, avant de partir dans une autre direction l'air de rien.
Felice semblait réellement affectée, de part le rictus acerbe qu'elle venait d'étirer. Decidément mal à l'aise par ta position et la sienne, tu décides de crever l'abcès.

— « Tu la détestes hein ? »

Tes doigts viennent effleurer son visage, alors que ta lèvre inférieure se pince. Tu regardes soudainement autour de toi. Le passage y était animé, vu que vous vous trouviez en plein coeur de la ville. Tu fronces les sourcils.

— « Je t'invite à boire un verre si tu veux. »

Et avant qu'elle ne puisse répliquer, tu chopes son poignet pour l'entrainer vers le premier bar qui se trouvait à porter.

— « En fait, c'était pas vraiment une question. Boire et se battre, c'est ce qui est le plus efficace pour exprimer sa douleur. »